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Grande distribution: « la dégradation des pratiques commerciales est lunaire ! »
« Toutes les entreprises sont en situation d'oxygène raréfié. Il y a celles qui en souffrent et celles qui en meurent. Dans le cas des grands groupes, si la situation perdure, ça risque tout bonnement d'hypothéquer l'avenir des filiales françaises. » Richard Panquiault, directeur général de l'Ilec (Institut de Liaisons et d'Etudes des Industries de Consommation) livre une vision très alarmiste des conséquences de la guerre des prix entre enseignes. Et dénonce des négociations commerciales 2016 « dans une grande mesure entachées d'irrégularités. La dégradation des pratiques commerciales à laquelle on assiste est totalement lunaire ! »
1. Constat : "20 % des accords des adhérents de l'Ilec ont été signés après la date butoir du 29 février"
L'Ilec regroupe 75 entreprises de diverses tailles (Kronenbourg, Heineken, Fleury Michon, Nestlé, Mars, Lavazza, Eckes Granini, Petit Navire, Orangina Suntory, AB InBev, Unilever, Wrigley, Bic, GSK, 3M, Johnson&Johnson, etc.) qui pèsent 52 % du chiffre d'affaires total des marques en grande distribution (soit 33 milliards d'euros). Au 29 février 2016, date qui sonne la fin des négociations, 20 % de ces sociétés n'avaient pas signé leurs accords selon l'Ilec. Ce qui est illégal. « Pour certains, 50 % des accords n'étaient pas signés, pour l'un d'entre eux rien du tout n'était signé. Qui est de bonne foi, qui est de mauvaise foi, je laisse la DGCCRF en juger. Mais la notion même de négociation est inappropriée quand les distributeurs vous reçoivent en vous disant : moi je n'achète pas en dehors d'un tarif à – 4 %. Ne me propose pas – 2 % parce que je veux – 4 % ! »
2. Le risque pèse sur les emplois : « 85 % des références leaders ont vu leur prix baisser, dont 45 % d'au moins 4 %. Sans que les volumes n'augmentent. La variable d'ajustement ne peut plus être les gains de productivité. C'est malheureusement l'emploi »
Dans les faits, sur l'année 2015, 85 % des références leaders ont vu leur prix baisser , dont 45 % de plus de 4 %. Dans l'alimentaire, la moitié ont baissé leurs tarifs de plus d'1,9 %. Et le recul moyen cumulé depuis trois ans s'élève à 5 %. Les seules entreprises à avoir réussi à passer des hausses (14 % des adhérents) sont celles qui ont connu de très importantes hausses de prix des matières premières (exemple du saumon). « Mais au final ça ne couvre pas toute la hausse », indique Richard Panquiault.
Autre irrégularité dénoncée par l'Ilec : 30 % de ses adhérents ont été concernés par des mesures de déréférencement en janvier et février 2016. 15 % à 70% du chiffre d'affaires de certaines marques étaient dans la balance. « Il s'agit de mesures de rétorsion, c'est totalement illégal ».
Enfin, les contreparties négociées en face des baisses de tarifs (à savoir l'amélioration des plans d'affaires) ne sont a priori pas proportionnées à l'effort consenti. « 85 % ont consenti des baisses et seules 40 % ont amélioré leur plan d'affaire », dénonce le d-g de l'Ilec.
«Malgré la baisse des prix, il n'y a plus de progression en volume. Quand une entreprise lâche 3 % à 4 % en négociation, elle ne peut pas les récupérer en productivité. J'ai passé 27 ans en entreprise, dont une grande partie à la direction générale et je peux vous dire que les efforts de productivité ont déjà été faits. » Pour Richard Panquiault, la variable d'ajustement risque donc d'être l'emploi. « 40 % de nos adhérents prévoient des réductions d'effectifs ! »
Les entreprises qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont un volant d'innovation important et qui peuvent renouveler leurs assortiments régulièrement, comme sur les marchés festifs par exemple. Car l'innovation est génératrice de valeur.
3. Prévisions 2016 : « Nous sommes loin d'être arrivés au bout de la spirale déflationniste : la pression promotionnelle s'accentue encore en 2016 »
Selon Richard Panquiault, "les briefs promotionnels 2016 sont encore plus agressifs » Le niveau de discount moyen est passé de 18 % en 2012 à 33 % en 2016. Le 3 pour 2 devient la norme. « Sans compter que les enseignes et les entreprises se mettent d'accord sur une opération promotionnelle à – 30 % pour le mois de septembre de l'année en cours, par exemple. Mais il arrive que le brief change pour passer à – 50 %. On sait qu'il y a un risque et à ce jeu les industriels sont parfois aussi responsables. Tout le monde a été secoué, par exemple, par la rentrée 2015 de Leclerc. Comme par hasard, les briefs de début 2016 sont incroyablement agressifs. »
4. Solution pour stopper ce train fou : « Il faut faire rentrer un second gardien des lois aux côtés de la DGCCRF : l'Autorité de la Concurrence. Il y a de vrais problèmes d'effectifs à la DGCCRF.»
« La capacité de la DGCCRF à faire la loi c'est vital. Mais, malheureusement la DGCCRF manque d'effectifs et ne réagit pas assez vite au regard de la vitesse à laquelle la situation se dégrade. » L'Ilec a envoyé un courrier au Ministère de l'Economie courant mars 2016 pour évoquer ce problème et dénoncer les exactions. L'Institut évoque également la possibilité de faire rentrer un second gendarme dans le jeu pour gonfler les effectifs : l'Autorité de la Concurrence. Elle pourrait intervenir dans le cadre de pratiques anti-concurrentielles. Exemple : dans les nouvelles méga centrales d'achats, certaines enseignes obtiennent les mêmes conditions que l'enseigne associée mais sans contrepartie sur les plans d'affaires.
5. Quid de la LME : « On attend de vraies assignations dans les mois qui viennent, ainsi que des sanctions réellement dissuasives. Si la loi Macron est réellement appliquée, on n'aura pas besoin de revoir la LME.»
« Si dans les trois mois qui viennent il y a de vraies assignations et si la loi Macron est respectée, alors il n'y aura pas de raison de revoir la LME ». L'Ilec attend également le compte-rendu de la mission d'audit diligentée par le ministère de l'économie pour mesurer les effets de la LME sur la rentabilité des entreprises. « Ce serait une erreur de légiférer trop tôt dans le cadre de la loi Sapin. » En attendant, l'Institut demande également à ce que les sanctions soient réellement dissuasives. Car une amende de 375 000 € effraie semble-t-il assez peu lorsque l'enjeu de 3 % à 4 % de négociations représente, lui, quelques millions d'euros...