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Les négociations commerciales dans l'impasse

23 janvier 2017 - Karine Ermenier

« Le prix bas est toujours la première attente des consommateurs, nos résultats le confirment. » A l'annonce des résultats 2016 – le chiffre d'affaires des centres E.Leclerc affiche une hausse de 2,5 %, soit + 915 millions d'euros en un an – l'analyse de Michel-Edouard Leclerc envoie un message subliminal à ceux qui voudraient mettre fin à la guerre des prix : pour lui, il n'est pas question de lâcher sur ce terrain. Coûte que coûte ?

C'est ce que laissent penser les premières remontées des négociations sur le terrain, toutes enseignes confondues. « D'après notre Observatoire des négociations, de nombreuses pratiques abusives contraires à la loi perdurent et s'intensifient. En fin d'année 2016, par exemple, certains industriels se sont vus demander des budgets additionnels préalables à toute négociation 2017, les fameux atterrissages des accords 2016 », explique Jean-Philippe Girard, président de l'Ania. Les pénalités logistiques, liées aux retards de livraisons, à l'organisation des déchargements, à la qualité des palettes, etc., montent également en flèche. « Entre ces pénalités et les ristournes sans contrepartie, les montants peuvent osciller entre 5 et 12 millions d'euros par an pour les ETI et entre 200 000 € et 500 000 € pour une PME », précise le p-dg d'Eurogerm.

En 2016, l'Observatoire des négociations avait fait état de 346 pratiques abusives. Il est encore trop tôt pour dresser le bilan 2017 car les négociations ne seront closes que fin février. Mais des courriers d'avertissements ont déjà été envoyés par l'Ania à certaines enseignes. Celles qui sont cotées en bourse se montrent en général plus enclines à corriger les dérives si elles se confirment. Pour d'autres, le montant des amendes infligées par les Autorités pour pratiques abusives se montrent insuffisamment dissuasives au regard du gain de marges qu'elles peuvent tirer des boxs.

Un constat se confirme encore : aucune entreprise n'est épargnée. Pas même les PME qui bénéficient pourtant d'accords-cadres dans la plupart des enseignes. « Il y a des problèmes de comportement dans les box. Tout l'enjeu est d'engager un changement culturel, qui permette de passer du conflit au collaboratif », reconnaît Dominique Amirault, président de la FEEF qui par ailleurs se félicite des résultats suscités par la plate-forme différenciée PME signée en 2014 avec la FCD (représentant des enseignes de distribution, hors Leclerc et Intermarché).

Mais les intentions ne se sont pas toujours concrétisées par des actes. Il en va ainsi de la « Charte pour des relations commerciales apaisées » en quatorze points signée par la FCD en octobre dernier qui stipule entre autres engagements, que « les négociations et leur formalisation doivent s'opérer dans le strict respect du cadre légal ». « Ce n'est pas moins ce que nous réclamons depuis des années : le respect de la loi », indique Jean-Philippe Girard de l'Ania.

Aucune entreprise n'est épargnée

Pour sa défense, l'industrie agroalimentaire ne peut même pas s'appuyer sur le rapport Macron, pourtant tant attendu en 2016. S'il dresse un constat juste de la situation, il n'a pas évalué l'incidence de la guerre des prix sur la situation financière des fournisseurs. Sur ce point, l'Ania a déjà analysé que sur les 8,7 points de taux de marge perdus en moyenne par les IAA entre 2009 et 2015, 6 points proviennent de la guerre des prix, perdus à cause de l'incapacité des industriels à répercuter sur leurs prix de vente la hausse du cours de leurs matières premières. Or, la volatilité des matières premières n'a jamais été si forte que ces dernières années.

« Entre 2004 et 2016, les prix des matières agricoles ont augmenté de près de 200 % », précise l'Ania. La loi Sapin 2 porte justement sur ces cours, mais plutôt dans l'optique de sécuriser les revenus de l'amont, par l'intermédiaire de contrats cadres et pluriannuels. « On se retrouve pris en tenaille entre les deux, alertent les représentants des industriels de l'industrie agroalimentaire. C'est intenable. » Depuis 2013, la déflation des tarifs imposée par la grande distribution a atteint près de 4 % en cumul. « Sans que cela ne stimule la consommation, qui n'a progressé que de 0,8 %, soit en deçà de l'effet démographique », pointe Jean-Philippe Girard.

L'exemple de la charcuterie

Les industriels de la charcuterie illustrent la situation. Depuis 2013, ils se voient imposer systématiquement des baisses de tarif par les centrales d'achat. Or, le prix des pièces de viande de porc, qui pèse plus de 54 % du chiffre d'affaires de ces entreprises n'a cessé de croître en 2016. Par exemple, la pièce de découpe de jambon sans mouille a augmenté de 12,3 % sur un an, quand le prix de vente aux distributeurs n'a augmenté que de 2,6 %, indique-t-on du côté de la FICT, qui représente les 250 entreprises du secteur. Dans le même temps, la consommation à domicile a reculé de 0,5 % en volume.

Pas de quoi sensibiliser les enseignes qui ne relâcheront sûrement pas la pression d'ici fin février. Pour les industriels, le cap est désormais plus loin. En cette année électorale, l'heure va être à la sensibilisation des candidats à la présidentielle, aux législatives et aux sénatoriales. L'Ania a déjà programmé des rencontres. Parmi ses vœux, présentés à la presse et à ses adhérents le 18 janvier dernier, figure un pilier : la réforme de la LME.

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