Un an après l’entrée en vigueur de la loi Alimentation, dite Egalim, l’effet sur la répartition de la valeur provoqué par ses deux mesures phare que sont la hausse de 10 % du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions fait l’objet de vives critiques, de la part de leurs opposants historiques. Rappelons que le dispositif relève pour l’heure d’une expérimentation de deux ans, une analyse par deux économistes étant prévue à l’issue de cette période. Mais sans attendre, la commission des affaires économiques du Sénat a prévu de publier demain un rapport qui promet d’être critique.
Ce premier bilan sera présenté au regard de l’objectif de rééquilibrage des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Tout en confirmant les propos de Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui estime que pour les agriculteurs « le compte n’y est pas », les sénateurs dévoilent d’ores et déjà que la loi pourrait, à ce stade, avoir des effets contraires à ce qui était prévu. Elle pourrait déstabiliser des acteurs économiques des territoires ruraux, notamment les petites et moyennes entreprises.
Nielsen décrypte l’impact sur les PME
Une étude publiée par Nielsen le 22 octobre confirme les difficultés rencontrées par les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 M€. « Sur le premier semestre 2019, la croissance du marché des produits de grande consommation et du frais libre-service s’est considérablement accélérée grâce au redressement des MDD et des grands groupes. Il s’est fait aux dépens des PME qui tiraient le marché et qui ont divisé par deux leurs gains », indique le panéliste.
Selon les données de Nielsen, l'évolution en valeur sur le 1er semestre 2019 (Scantrack P6 2019 HMSM / comparaison évolution valeur P6 2018) est de :
- Total Produits grande consommation-Frais Libre-service (hors vins) : + 501,9 M€ (+ 485 M€),
- dont marques PME : + 141,4 M€ (-145,7 M€),
- dont grands groupes : + 210,7 M€ (+ 323,1 M€),
- dont MDD : + 149,8 M€ (+ 307,6 M€).
Deux explications à cette moindre croissance des PME sont avancées par Nielsen : le ralentissement du référencement de nouveaux produits et la réduction du poids des ventes sous promotion, qui s’est montrée plus conséquente que pour les autres intervenants.
L'étude n’a pas manqué de faire réagir la Feef (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France). « Ces chiffres attestent qu’en manipulant les indicateurs de prix et de marché par des réglementations, on a fini par complètement dérégler le commerce », a réagi Dominique Amirault, président de la Feef. Pour l’organisation, la loi Egalim fragilise les marques PME françaises qui voient diviser par trois leur taux de croissance et chuter leur nombre de nouvelles références, après une croissance ininterrompue depuis cinq ans. Selon elle, les deux solutions pour enrayer la chute sont la sortie de l’encadrement en volume des promotions et la reconnaissance que la création de valeur s’exprime par le tarif fournisseur.
Du petit-lait pour Michel-Edouard Leclerc
A la lecture de ces données, Michel-Edouard Leclerc a semble-t-il bu du petit-lait... « Ne pourrait-on pas reconnaître que « ça ne pouvait pas marcher puisqu’aucun mécanisme n’avait été inséré dans le dispositif législatif pour organiser un éventuel ruissellement de la part des distributeurs… et des industriels », écrit-il le 30 octobre sur son blog.
Du côté de la FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution), qui représente les principaux distributeurs, hors Leclerc, l’heure est à la tempérance : « il reste essentiel d’attendre le bilan prévu après deux ans d’expérimentation pour tirer toutes les conclusions et de conserver un cadre législatif et réglementaire stable ».
L’organisation s’autorise tout de même une première analyse. Premier point, elle confirme que la loi a permis de mettre fin à la déflation, avec pour les marques nationales une inflation à +0,3 % en août 2019, contre -1,2 % un an avant, sans pour autant avoir eu d’effet significatif sur l’augmentation générale des prix. La FCD met en exergue également l’effet positif de la loi sur certaines filières agricoles à l’instar du secteur laitier.
Un constat que ne partage pas du tout l’UFC-Que Choisir qui s’est associée à la Confédération paysanne pour dénoncer, selon ses calculs, "une inflation qui devrait représenter 1,6 milliard d'euros sur deux ans, suite à la hausse de 10 % du seuil de revente à perte". Ces organisations demandent l’abandon de la mesure. Et exigent la transparence totale sur les marges, la publication des conditions de négociation et la mise en place d’un dispositif rémunérateur pour les agriculteurs.