Luc Guyau : « Ne jamais dissocier politique agricole et alimentaire »
Se dirige-t-on à nouveau vers de nouvelles émeutes de la faim, comme en 2008 ? Depuis six mois, les prix des matières premières mondiales grimpent de manière inquiétante, dépassant actuellement 230 euros la tonne pour le blé contre 110 en juillet 2010. Trois raisons expliquent cette volatilité des prix : les conditions climatiques exceptionnelles en Russie (canicule), en Australie (inondations) et en Argentine (sécheresse), le manque de transparence sur les stocks mondiaux, apparemment très faibles dans les principaux pays exportateurs, et la spéculation forte sur les matières premières.
Luc Guyau, ancien président de la FNSEA, et actuel président indépendant du Conseil de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture) est l’invité de Process alimentaire dans son numéro de janvier. Pour lui, la résolution du problème de la faim dans le monde est le résultat d’un comportement global.
Process alimentaire : Comment mieux gérer les marchés ?
Luc Guyau : "Une des solutions à la faim dans le monde est de sécuriser le revenu des agriculteurs. Tout ce qui concourt aujourd'hui à augmenter la volatilité des prix est dangereux, aussi bien pour les producteurs que pour les consommateurs. Quel que soit le régime politique en place, les exploitations agricoles restent en général des petites entreprises qui ont besoin de stabilité. Il est faux de croire que lorsque la situation s’améliore de nouveau, les producteurs disparus vont pouvoir réapparaître trois ans après. Il ne faut jamais dissocier politique agricole et alimentaire. Croire qu’une politique de libre marché va tout résoudre est une erreur."
P. a. : Voulons-nous nourrir le monde?
Luc Guyau : "Il faut savoir que sur 700 millions d'hommes qui ont faim, 700 000 sont des paysans. Pour que la population rurale se maintienne, la première condition est de respecter le travail des paysans. Il faut qu'ils gagnent leur vie. On vient de passer le cap des 50 % de la population vivant en ville. Cette proportion, au rythme de l'exode actuel, atteindra 70% en 2030. Avec le risque de voir s’accroître les problèmes d'approvisionnement en eau, d'environnement, et apparaître des émeutes de la faim.
Pour certains pays, la survie est liée à l'achat de nourriture au prix mondial. Ce qui suppose, premièrement, qu’ils puissent s’approvisionner à pas cher, et deuxièmement, que cette nourriture soit disponible. Récemment, l'Egypte a frôlé des émeutes de la faim, parce que la Russie avait décidé, par précaution, de freiner ses exportations de céréales. Le marché a pu se ré-équilibrer, parce qu'il y avait des stocks ailleurs."
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