Interview

Valse des étiquettes : la vérité des prix

17 mars 2008 - Josselin Moreau

Florent Vacheret, rédacteur en chef du magazine Linéaires : « Les relevés de prix effectués sur le terrain par l’équipe de journalistes de Linéaires montrent une inflation de 3 à 4 % sur les produits de grandes marques »

Processalimentaire.com : Le magazine Linéaires a consacré l’enquête de son dernier numéro à la hausse des prix. Quelle est la situation actuelle ?

Florent Vacheret : Le jeu de la surenchère d’annonces en matière de hausse des prix est dangereux. Il ne reflète pas la réalité de la situation depuis le début de l’année sur l’ensemble des produits alimentaires. Les relevés de prix effectués sur le terrain par l’équipe de journalistes de Linéaires montrent une inflation de 3 à 4 % sur les produits de grandes marques *. Cela reste toutefois considérable ! Cela représente l’équivalent des baisses de prix progressives nées des accords Sarkozy mi 2004 et de la loi Dutreil début 2006.
Cette envolée des prix doit beaucoup aux produits céréaliers, au riz, aux pâtes et aux biscuits où certaines augmentations atteignent 20 % à 30 %. Les augmentations concernant produits laitiers sont quant à elles aux alentours de 10 %. Pour le reste, les prix restent sages.

Processalimentaire.com : Selon le numéro de mars de « 60 Millions de consommateurs », les produits alimentaires ont vu leurs prix s’envoler de 5 % à 48 % entre novembre 2007 et janvier 2008 … sur les sites Internet des enseignes. Les magasins en ligne sont-ils trop chers ?

F. V. : La compétitivité prix des cybermarchés est en effet très décevante. Notre étude comparative effectuée en parallèle sur les quatre acteurs principaux établit que les magasins web pratiquent des prix en moyenne 14% plus élevés que les magasins « en dur ». Cet écart est d’autant plus marqué sur les produits frais.

Processalimentaire.com : Christine Lagarde, Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, s’est récemment exprimée pour demander « plus de transparence sur les mécanismes de calcul des marges et l'engagement de tous les partenaires industriels et distributeurs pour jouer le jeu et limiter les hausses de prix à celles des matières premières ». Est-ce un vœu pieu ?

F. V. : C’est une utopie de penser qu’il peut y avoir une parfaite transparence au niveau des relations commerciales. Ni les fournisseurs ni les enseignes ne la souhaitent, d’ailleurs. Personne ne sait précisément comment se constituent et se décomposent les prix de revient des produits alimentaires ainsi que les marges réelles des distributeurs. Cela dit, on peut affirmer que toutes les enseignes ne bénéficient pas des mêmes conditions de la part des marques : il peut y avoir 2 à 4 points de différence de conditions. Mais personne ne le voit…

Processalimentaire.com : La Loi Chatel est entrée en vigueur le 3 janvier 2008. Elle permet au distributeur de répercuter l’intégralité des marges arrière dans le prix de vente. Elle n’aura pas réussi à contrer la hausse des prix …

F. V. : Deux phénomènes contradictoires se sont déroulés. D’un côté, la hausse des matières premières a été subie par tout le monde. De l’autre, la loi Chatel était en effet susceptible de faire baisser les prix. Elle était le prolongement de la loi Dutreil qui imposait jusqu’à présent de conserver 15 % des marges arrière. Mais la souplesse offerte depuis le début 2008 n’a pas été utilisée par les distributeurs. A la fois parce que leurs niveaux de rentabilité ne leur permettent plus d’investir dans les prix de façon massive. Et aussi parce qu’ils prêchent pour obtenir la négociabilité des prix. Ils n’ont d’aucun intérêt à jouer le jeu de la loi Chatel !

Processalimentaire.com : Le gouvernement parle justement d’introduire cette négociabilité entre distributeurs et fournisseurs. Doit-elle faire peur aux industriels ?

F. V. : C’est une façon de mettre la pression sur les industriels. En particulier les grands groupes qui, quoi qu’on en dise, ont plutôt bien traversé les « années loi Galland ». Schématiquement, on ne va plus négocier des services et contreparties mais un prix. La maîtrise des coûts de production redevient clé pour les fournisseurs.
En outre, la négociabilité apportera une certaine transparence. Le fruit de la négociation se traduit directement sur la facture en remises, rabais et ristournes accordées aux enseignes. Et ces factures peuvent plus facilement circuler qu’un contrat annuel…

* Méthodologie : Linéaires a relevé son panier type dans les 20 principaux magasins de Rennes les 15-16 décembre 2007 et les 10-11 janvier 2008

 

Nos enquêtes à lire :

- « La loi Chatel remet la négociation au premier plan ». Magazine Process alimentaire – Décembre 2007, p. 8,

- « Flambée des matières premières : quelles stratégies ? ». Magazine Process alimentaire – Janvier 2008, p. 8.

 

Coups de gueule et mises au point

La forte médiatisation des évolutions de prix des produits alimentaires a soulevé de nombreuses réactions de la part des industriels. Plusieurs d’entre eux ont sévèrement critiqué la méthodologie de relevés des prix sur Internet. C’est le cas de Fleury Michon qui déclarait dans un communiqué fin février qu’une telle méthode ne reflète pas « la réalité de la situation dans la mesure où environ 99,8% des ventes des produits à marque Fleury Michon sont réalisés dans les grandes surfaces et non sur Internet ». De son côté, Marc Senoble, pdg du groupe laitier éponyme, avait accusé l’Institut National de la Consommation et son mensuel « 60 millions de consommateurs » de mener une « campagne de désinformation pour des raisons électorales ». Le 7 mars dernier, l’Association nationale des industries alimentaires a quant à elle jugé insupportable et intolérable « l’utilisation incessante par Michel-Édouard Leclerc, d’effets d’annonces démagogiques, pour sa propre communication ». Cette réaction faisait suite à l’annonce du distributeur dans le journal Le Parisien daté du même jour de retirer certains produits de sortie de caisse. « Où est l’honnêteté ? » s’interroge Jean-René Buisson, président de l’ANIA. « Je ne suis pas convaincu en effet que cette approche bénéficie au consommateur ».

 

La DGCCRF confirme la hausse des prix, mais atténue le discours de l’INC

Une cinquantaine d’enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) se sont rendus dans les centrales d’achat des six plus importantes enseignes de distribution pour y examiner les factures d’achat de vingt produits listés dans le magazine « 60 millions de consommateurs » comme ayant connu des hausses très importantes entre novembre 2007 et janvier 2008. 80 grandes surfaces réparties dans 40 départements ont été visitées afin de relever les prix des mêmes produits dans les rayons.
Pour l’ensemble, les prix moyens relevés sont 13,4 % moins élevés que ceux des mêmes produits pointés par 60 millions de consommateurs sur Internet.
L’enquête dans les centrales d’achat a permis de constater qu’entre la fin 2007 et début 2008, les fournisseurs de ces produits ont fait varier leurs tarifs de vente aux distributeurs de -0,5 % à 21%. Dans le même temps et pour les mêmes produits, les distributeurs ont fait varier les prix de revente aux consommateurs de 0 à 27%.

Process Alimentaire - Formules d'abonnement

AU CŒUR DE L’ INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE

● Une veille complète de l’actualité du secteur agroalimentaire
● Des enquêtes et dossiers sur des thèmes stratégiques
● Des solutions techniques pour votre usine

Profitez d'une offre découverte 3 mois