Un relatif consensus pour réformer la LME
Selon le cabinet du ministère de l'Agriculture et de l’Alimentation, le Président de la République devrait intervenir autour du 11 octobre pour annoncer le premières mesures issues des travaux du chantier 1 des États Généraux de l’Alimentation. Une intervention très attendue, car elle devrait annoncer les arbitrages réalisés par Emmanuel Macron autour des propositions pour une meilleure répartition de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire. Avec en ligne de mire, l’enjeu ultra-stratégique de la réforme de la LME (Loi de modernisation de l’économie).
Pouvait-il en être autrement ? La recherche de consensus si chère au ministre Stéphane Travert, qui appelait en ouverture des États Généraux à trouver « des voies de progrès acceptables par tous », a littéralement volé en éclats la semaine dernière, suite à l’annonce d’une réflexion autour d’une revalorisation du seuil de revente à perte (le prix en dessous duquel un distributeur a l’interdiction de revendre un produit).
La posture de Michel-Edouard Leclerc
Sans surprise, Michel-Edouard Leclerc a déploré sur son blog le « projet d’obliger les distributeurs les moins chers à remonter leurs prix ». Fidèle à sa tactique médiatique, il a pris la posture du chevalier blanc du pouvoir d’achat en jouant la surenchère : « des hausses de prix de 5 à 15 % sur des milliers d’articles alimentaires… ». Et détourné le débat sur les grands groupes. « En quoi la hausse de l’Ariel, du Ricoré et de la Volvic va permettre de mieux rémunérer les agriculteurs français ? ». Le distributeur a reçu le soutien de l’UFC - Que Choisir. Pour l’association de consommateurs, pas de doute : « augmenter le prix de vente minimal auquel il est permis de revendre un produit conduit à une hausse des prix ». Selon ses calculs, elle déclare qu’un relèvement de 15 % du seuil de revente à perte se traduirait dès 2018, par une hausse des prix de 1,4 Mds€, soit +2,4 % sur les rayons concernés. Complétant l'argumentaire de Michel-Edouard Leclerc, l'association pointe que 21,5 % des dépenses des ménages en produits de grande consommation sont sans lien avec la production agricole.
Deux réactions, qui font fi d’un constat pourtant sans appel. Selon les données de l'Observatoire des prix et des marges, la perte de valeur directement imputable à la guerre des prix est estimée à 1 milliard d’euros depuis 2013. Une donnée à mettre en regard de la détresse d'une partie du monde agricole.
Moins médiatique que les sorties de Leclerc et Que Choisir, un certain consensus se dégage en réalité entre les représentants de l’agriculture (FNSEA), de l’industrie agroalimentaire (Ania) et la plupart des distributeurs (membres de la FCD, Système U et Intermarché).
Augmenter le SRP de 15 %
Précisément, une proposition clef, que l’Ania a présentée, vise à introduire dans le calcul du SRP un coefficient intégrant les coûts de distribution. "Car tel qu’il est calculé actuellement le calcul permet aux distributeurs de vendre leurs produits en deçà de leurs coûts", justifie l'association porte-parole de l'industrie agroalimentaire. Pour tenir compte des coûts logistiques et de mise en marché, le seuil pourrait être augmenté de 15 %.
Autre proposition clef : l'encadrement des promotions, que les industriels financent tout au long de l’année (du fait des nouveaux instruments de promotion) et parfois même en dehors des négociations annuelles. Une guerre des promotions coûteuse pour les fournisseurs, et qui a le désavantage de faire perdre aux consommateurs leurs repères en termes de positionnement prix. La proposition de l’Ania est qu’une centrale d’achat ne puisse pas faire de promotion portant sur plus de 34 % du prix d’un produit et 25 % de son volume annuel.
Ces deux propositions recueillent un assentiment plus ou moins enthousiaste, mais assez large de la part des distributeurs. Serge Papin pour Système U, Thierry Cotillard pour Intermarché et Jacques Creyssel pour la FCD (distributeurs hors indépendants) se sont exprimés en ce sens.
Car ce qu'omettent de dire l'UFC Que Choisir et Michel-Edouard Leclerc, c'est que les distributeurs pratiquent la péréquation de marges sur l'ensemble des références qu'ils commercialisent. Cela signifie que ce qu'ils ne gagnent pas d'un côté, ils le récupèrent de l'autre. En clair, les marges sont très basses sur les produits d’appel, ceux des grandes marques, et élevées voire très élevées sur les autres. Ce que le président de Système U, Serge Papin, dénonce par sa célèbre formule : « C'est le coco de Paimpol qui finance le Coca d'Atlanta ! ».
Affaiblir les promotions
Il est donc juste de dire que l’augmentation du seuil de revente à perte risque d’augmenter les prix des produits des grandes marques. Mais en pratique, il va surtout affaiblir le potentiel des promotions sur ces produits. Et contribuer à freiner la mécanique d'une enseigne comme E. Leclerc, qui martèle ses messages sur les prix bas, peu compatible avec une stratégie de valorisation de la filière vers une alimentation de qualité.
Surtout, la proposition redonnera aux distributeurs du potentiel de marge, qui pourra être remonté - potentiellement - vers l'amont agricole. C'est bien entendu sur les garde-fous à imposer pour que la valeur se retrouve vers l'amont agricole que se jouera l'efficacité de la mesure. Parmi les propositions avancées, il se dégage l'idée de créer un système d'indexation sur les prix agricoles, mais aussi de renforcer le pouvoir et les moyens de l'Observatoire des prix et des marges pour connaître de manière plus transparente la réalité de la répartition de la valeur.
Une chose est certaine, la réforme de la LME est un sujet complexe, et quels que soient les arbitrages, ils peineront à contenter tout le monde. Interrogé par nos soins, Emmanuel Vasseneix, président de LSDH, met en avant une autre façon de faire, basée sur la contractualisation tripartite. "Les accords que nous avons signés avec Système U sur le lait bio ou Bleu-Blanc-Coeur sont la preuve qu'un autre modèle est possible et devrait se généraliser. Quand le consommateur achète un lait à 99 cts, je n'ai pas l'impression de le voler et j'ai de quoi payer le producteur, d'investir dans la R&D et le distributeur peut également faire face à ses coûts, sans qu'il n'y ait de notion de SRP", résume-t-il.