Les députés remodèlent la loi Alimentation
Le projet de loi pour un équilibre des relations commerciales dans le secteur alimentaire et une alimentation saine et durable aura fait l'objet d'un intense travail parlementaire en commission de développement durable puis en commission des affaires économiques. Le texte a finalement été adopté vendredi 20 avril, après l'examen de 1 874 amendements.
234 amendements ont été adoptés, dont une soixantaine déposés par le rapporteur lui-même, le député LREM Jean-Baptiste Moreau, qui est élu de la circonscription unique de Creuse et agriculteur. «Nous avons adopté des mesures ambitieuses pour une agriculture plus rémunératrice, saine, respectueuse de l'environnement et du bien-être animal», s'est-il félicité sur Twitter.
Le vote définitif du projet de loi est prévu en séance publique du 22 au 24 mai 2018. Si l'on a beaucoup parlé de l'augmentation du seuil de revente à perte de 10 % et de l'encadrement des promotions (34 % de la valeur habituelle et 25 % du volume annuel), le travail parlementaire a fait surgir des mesures moins connues voire même inattendues, en lien soit avec le volet équilibre des relations commerciales, soit avec le volet alimentation saine et durable.
1- Équilibre des relations commerciales
La fin des négociations annuelles
Le plus impactant, mais aussi le plus inattendu, des amendements adoptés est sans nul doute la sortie des produits agricoles et alimentaires des négociations commerciales annuelles au profit de renégociations pluriannuelles.
La proposition a été défendue par le rapporteur lui-même. L'enjeu est de mettre fin au feuilleton annuel des négociations commerciales, qui débutent en octobre de l'année et se terminent fin mars de l'année suivante. Durant cette période, les distributeurs et leurs fournisseurs doivent signer l'accord tarifaire prévalant jusqu'à la prochaine période. Les produits frais non transformés sont déjà exemptés de ce rythme annuel. Tout comme les marques de distributeurs.
La proposition surprise n'a pas manqué de faire réagir. Du côté des industriels de l'agroalimentaire, Richard Girardot, p-dg de Nestlé, a le mieux résumé la situation : « Cela montre qu'il y a une détermination forte afin d'en finir avec la guerre des prix. Le second effet immédiat est de créer un peu plus d'incertitude dans un environnement déjà instable », pointe-t-il avant d'y voir « une opportunité sans précédent de repenser complètement notre modèle pour les prochaines années ».
Des sanctions accrues
Les députés ont monté d'un cran la pression sur les entreprises agroalimentaires qui ne publient pas leurs comptes. Les groupes Lactalis et Bigard sont en ligne de mire. Le dispositif prévu par la loi Sapin II s'avérait peu dissuasif. La proposition portée par le député Modem Richard Ramos prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires journalier moyen par jour de retard. Les injonctions seront délivrées directement par le tribunal de Commerce, et non plus par le président de l'observatoire de la formation des prix et des marges, comme précédemment.
En parallèle, les députés ont adopté un alinéa visant à inclure les entreprises de la grande distribution dans le dispositif.
Un autre amendement confère au médiateur des relations commerciales agricoles une arme redoutable, le fameux « name and shame », qui consiste à rendre public ses conclusions et mettre ainsi les entreprises sous pression médiatique.
2 - Alimentation plus saine et durable
Pas de dénomination trompeuse pour les produits végétaux
Même si la mesure est dans la continuité d'autres décisions au plan français ou européen, c'est une autre surprise du texte adopté en Commission des affaires économiques. Le 19 avril, les députés ont voté l'amendement n°CE2044 contre les dénominations « steak » ou « saucisses », ou plus largement faisant référence à des produits d'origine animale, attribuées à des produits végétariens mais également à des aliments « mixtes », comme les hachés de bœuf et de soja. L’amendement fait aussi référence aux substituts de produits laitiers (lait, crème, fromage…) déjà abordé par l’arrêté du 14 juin 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne. Les députés veulent ainsi mettre fin à des pratiques commerciales qu'ils jugent trompeuses pour le consommateur.
Le texte présenté aussi par le rapporteur Jean-Baptiste Moreau, qui est éleveur bovin, propose d’interdire les dénominations associées aux origines animales (steaks, saucisses, filets, bacons...) aux produits contenant une part « significative » de matières premières végétales. La proportion qui pourrait être considérée comme « part significative » n’a pas été précisée. Elle devrait être fixée une fois la loi votée par un arrêté.
L'amendement a obtenu une certaine notoriété médiatique, y compris à l'international, comme ici avec cet article du Guardian.
50 % de produits locaux ou labellisés
Un amendement porté par l'ancienne ministre de l'Environnement Delphine Batho (PS) a inscrit dans le projet de loi l'objectif de 50 % de produits locaux ou labellisés et 20 % de produits bio dans la restauration collective d'ici 2022. Le texte initial se contentait de parler d'une part significative, qui aurait été précisée dans un second temps.
Cette disposition a été complétée par un amendement porté par les députés LREM Matthieu Orphelin et Laurence Maillart-Méhaignerie. Il vise la mise en place d'un plan de diversification pour augmenter la part de protéines végétales dans les repas servis.
Bien-être animal : des lanceurs d'alerte dans les abattoirs
C'est le sujet qui a suscité les débats les plus vifs. Des députés La France Insoumise ont porté un certain nombre de dispositions, dites amendements L214, qui n'ont pas été adoptées. « Plutôt que d'adopter des mesures qui risqueraient d'être perçues comme stigmatisantes et liberticides, nous avons privilégié le dialogue, la formation, la responsabilisation des acteurs et l'expérimentation », ont déclaré Jean-Baptiste Moreau, le rapporteur du projet de loi, et Roland Lescure, le président de la Commission des Affaires économiques.
Les députés ont ainsi refusé d'imposer la vidéo-surveillance dans les abattoirs, ne voulant pas mettre des milliers de salariés sous surveillance. Cependant, les mesures retenues pour le projet de loi vont dans le sens d'une meilleure prise en compte du bien-être animal dans les abattoirs. Chaque abattoir devrait nommer un responsable de la protection animale. Proposition inédite, le dispositif de lanceur d'alerte, tel que prévu par la loi Sapin II, sera appliqué à cette fonction. Par ailleurs, le texte prévoit le renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs.