Pour Loïc Hénaff, qui est également président du réseau Produit en Bretagne, la crise révèle tout l’intérêt de développer l’écosystème régional.

Loïc Hénaff : « La résilience des entreprises se mesurera à leur richesse sociale »

20 avril 2020 - Pierre Christen

Face à l’épidémie de Covid-19, le groupe Jean Hénaff fait face, mais son dirigeant reconnaît que l’activité ne tient qu’à un fil, essentiellement grâce à l’engagement de ses salariés. Pour Loïc Hénaff, qui est également président du réseau Produit en Bretagne, la crise révèle tout l’intérêt de développer l’écosystème régional. Interview.

Comment le groupe Jean Hénaff traverse la crise ?

Nous tenons debout. Ce que l’on vit relève du marathon. Nous sommes sur un plateau, un plateau qui se fendille de tous les côtés, avec vaguement une date de fin, le 11 mai. C’est très compliqué. Nous avons une chance (mais nous n’en sommes pas méritants), une bonne partie de notre activité correspond au besoin de l’instant, à ce que les Français veulent acheter, et pas forcément consommer d’ailleurs. Ainsi, nous avons une bonne activité « conserves en GMS ». Ce qui représente habituellement 50 % de notre chiffre d’affaires. Mais pour le reste, c’est dévasté. C’est le cas de notre activité algues, des circuits épicerie fine, restauration collective, de nos boutiques et de l’export. L’ensemble est fragile et ne tient qu’à un fil et aux personnes qui continuent de travailler.  Ce qui va être dur, c’est de tenir sur la durée. Pour l’après, nous avons beaucoup d’interrogations sur une partie de nos clients. Que sont devenus les restaurateurs, les magasins de produits régionaux, etc ? Nous ne le savons pas.

Et l’activité saucisserie ? Les barbecues semblent tourner à plein...

C’est très difficile sur le plan logistique, car ce sont des produits frais. Bien sûr, on peut se comparer à 2018 et se dire que l’activité progresse un peu, mais il faut raisonner par rapport aux budgets que nous avions prévus. Tous les ans, notre production de saucisses est multipliée par deux pendant l’été. A partir de Pâques, nous attaquons un Everest à gravir. Mais là ? Nous sommes dans l’incertitude.

Quid de l’activité GlobeXplore rachetée en 2017 ?

La récolte d’algues a été bonne pendant les grandes marées. Dans l’atelier, on lave beaucoup, on prépare et on sale. Mais on transforme peu, nous avons de plus en plus de craintes par rapport à l’avenir.

Et la charcuterie bio Kervern au Grand-Fougeray (35) ?

L’atelier fonctionne bien pour les magasins spécialisés bio. Mais l’activité pour les marchés de plein air est très aléatoire. Il y a eu beaucoup d’injonctions contradictoires.

Dans l’ensemble, comment réagissez-vous ?

Nous basculons en activité partielle. Nous avons suspendu tous les projets de long-terme. Les décisions sont prises par période de 15 jours. Nous nous concentrons pour réussir l’opérationnel. De plus en plus de salariés basculent des services support vers la production. C’est le cas du marketing, de la supply chain, de la comptabilité, de la R&D… Des congés étaient prévus en production. On les a autorisés bien entendu, mais avec l’absentéisme lié aux gardes d’enfants, c’est plus compliqué.

La prudence est donc de mise ?

Oui, je suis extrêmement prudent. J’ai l’impression d’être sur une crête. L’activité tourne mais peut s’arrêter à tout moment. Et pour pas grand-chose. Nous avons un outil solide, qui tient tant qu’on continue à abattre. Mais il faut du personnel qualifié, un vétérinaire, des autorisations maintenues. C’est toute une chaîne. Et dès qu’il y a un problème, ce n’est pas réglé en 24h et trois coups de fil comme avant. Tous les aspects logistiques se sont complexifiés. Par exemple, on voudrait envoyer du gel hydroalcoolique à nos commerciaux, on cherche la solution car La Poste n’est pas fiable.

Dans ce contexte, et en tant que président de Produit en Bretagne, la relocalisation des achats est un vrai sujet ?

Il faut laisser du temps. Dans quelques années, on regardera ces huit semaines de confinement comme un battement de cil. Mais je suis persuadé que la résilience des entreprises se mesurera à la hauteur de la richesse de leur tissu social interne, de l’expérience de leur encadrement, de la qualité de leurs relations avec leurs clients et leurs fournisseurs… Il y a dix ans Produit en Bretagne menait déjà une campagne « Je relocalise mes achats ». C’est tout le propos de la création de l’association en 1993. Il ne s’agit pas d’un discours autarcique, il ne s’agit pas de se refermer chez soi. Mais d’avoir conscience que le consommateur comme le donneur d’ordre ont de l’impact. Acheter c’est faire des choix. Il ne s’agit pas d’une préférence régionale bête et aveugle, mais de privilégier la proximité parce que c’est meilleur pour son territoire. Dans de nombreux cas, il est démontré qu’on gagne en compétitivité en choisissant un fournisseur de proximité, à condition qu’il apporte le service attendu. Ce qui compte, c’est de faire des achats en conscience. Et d’être des entreprises engagées.

Ne craignez-vous pas que des marchés se ferment, si tout le monde tient votre discours ?

Non. Car les territoires ne peuvent pas tout faire. Dans le Finistère, nous ne prétendons pas faire des avions ! La Bretagne nourrit 20 millions de Français. Pourquoi ? C’est d’abord lié à un climat, un sol. Pourquoi y-a-t-il des fraises de Plougastel ? Car il y a un microclimat sur la presqu’île. L’agroalimentaire est aussi devenu une force grâce aux gens, à une culture, un tissu économique, les centres techniques, tout un écosystème. Nous sommes exportateurs de produits agricoles et alimentaires et très importateurs d’autres produits. Ce n’est pas un problème à condition d’avoir un transport raisonné.

La question du transport est en effet centrale ?

Avec l’appui de l’Ademe, nous menons une ACV (Analyse de Cycle de Vie) sur nos saucisses fraîches. C’est saisissant de voir la part négligeable du transport et des emballages. Mais il faut regarder le sujet de près. Un porte-conteneur contient 18 000 conteneurs avec en moyenne 13 tonnes chacun de produit net. Évidemment que le prix du transport est nul à cette échelle. Cependant, le bateau consomme jusqu’à 300 tonnes de carburant par jour... Il y a donc un impact considérable. Et un choix politique à la clef.

Au final, votre propos va dans une logique de spécialisation des territoires ?

Oui, aucune région ne peut tout faire. La stratégie de la région Bretagne de devenir leader du « Bien manger » en Europe nous va bien. On se dit qu’on peut travailler là-dessus. Dans la restauration, 70 % du poulet est importé, il y a de la marge…

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