Comment Emmanuel Macron veut mettre fin à la guerre des prix

11 octobre 2017 - Pierre Christen

Le premier constat du Président Emmanuel Macron est clair : mettre fin à la guerre des prix, qu'il qualifie de dérive. « La baisse des prix est légitime lorsqu'elle est le fruit de l'innovation, de gains de productivité… Mais c'est une dérive lorsque le prix payé par les consommateurs baisse année après année, répercutant les déséquilibres d'un marché, qui compte 60 millions de consommateurs, plusieurs milliers de transformateurs, mais quelques centrales d'achat. »

Pour ceux qui craignaient que les Etats Généraux de l'Alimentation n'accouchent d'une souris, force est de constater que lors de son discours à Rungis le 11 octobre, Emmanuel Macron a livré un cap clair pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire et proposé un nouveau modèle en phase avec les enjeux.

Il n'a pas balayé d'un revers de la main, les divisions qui se sont exacerbées ces derniers jours sous la férule de Michel-Edouard Leclerc. « Je n'ignore rien des tensions, des désaccords, peut être des malentendus résiduels », a déclaré le Président de la République. « Mais ces débats ont permis de renouer avec une forme de responsabilité partagée ». Devant un parterre de journalistes et de membres des ateliers des Etats Généraux, il a appelé à « un esprit de responsabilité collective. Car il ne s'agit pas aujourd'hui de décider d'ajustements techniques, mais d'un changement profond de paradigme pour répondre à trois défis : le juste prix, la souveraineté alimentaire et la santé.

Son premier constat est clair : mettre fin à la guerre des prix, qu'il qualifie de dérive. Les agriculteurs ne peuvent plus vivre des prix payés, « des prix anormalement bas ». Il n'est pas possible qu'un tiers des agriculteurs gagnent moins de 350 € par mois, a-t-il martelé, reprenant le constat établi unanimement lors des Etats Généraux. Il a poursuivi : « La baisse des prix est légitime lorsqu'elle est le fruit de l'innovation, de gains de productivité… Mais c'est une dérive lorsque le prix payé par les consommateurs baisse année après année, répercutant les déséquilibres d'un marché, qui compte 60 millions de consommateurs, plusieurs milliers de transformateurs, mais quelques centrales d'achat."

« Notre première responsabilité est de stopper la guerre des prix, et la dévalorisation permanente des revenus des agriculteurs. Quand vous avez des produits alimentaires en promotions permanentes, vous n'avez plus la notion de prix et donc plus rien n'a de valeur. Il y a donc besoin d'une pédagogie collective pour expliquer que si le pouvoir d'achat se fait au détriment du vivre dignement, il n'est pas durable », a-t-il argumenté.

Fort de ce constat, Emmanuel Macron a annoncé une série de décisions concrètes :

1.Mise en place d'une contractualisation rénovée sur la base d'un contrat proposé par les agriculteurs et non par les acheteurs.

Il s'agit d'inverser la construction des prix en partant des coûts de production. « Je souhaite dès les négociations commerciales qui commencent début novembre un engagement clair des parties prenantes auprès des ministres et sans attendre la loi », a affirmé Emmanuel Macron.

2. Incitation à la création d'organisations de producteurs plus puissantes

Pour le Président, la contractualisation ne sera efficace que si les agriculteurs se regroupent en organisations commerciales de producteurs pour peser davantage lors des négociations, en tirant profit des possibilités existantes du droit de la concurrence. « Nous inciterons fortement en ce sens, en conditionnant certains dispositifs d'aide à la taille des organisations de producteurs », a-t-il déclaré.

3. Création d'indicateurs (de marché et des coûts de production) et de contrats type par filière. Pour que les agriculteurs puissent peser, le Président a annoncé un renforcement des moyens d'action de l'Observatoire des prix et des marges, avec un accès aisé aux informations par tous.

Ces références permettront d'éviter de protéger des prix trop élevés d'agriculteurs qui produisent trop peu ou à qualité trop faible.

4. Une contractualisation sur une base pluri-annuelle (3 à 5 ans).

« Selon les filières, vous aurez besoin de transformations profondes, qui ont besoin de temps et de visibilité, qu'il est impossible d'avoir avec des prix d'achat annuels voire infra-annuels », a-t-il expliqué.

5. Une clarification du droit de la concurrence.

Il est prévu que l'Autorité de la Concurrence puisse être saisie pour que les filières aient une vision claire de l'interprétation du droit.

6. L'application de la loi Sapin II

L’État va prendre ses responsabilités avec des contrôles effectifs et des sanctions applicables. « Les entreprises qui ne publient pas leurs comptes faussent la réalité dans la discussion avec une filière », a justifié le Président, qui a annoncé que l'administration allait procéder à des injonctions et à des amendes. Le rôle du médiateur des négociations commerciales agricoles va être renforcé, pour plus de rapidité et d'efficacité en autorisant le principe du « name & shame » qui consiste à rendre public les noms des entreprises sanctionnées.

7. L'augmentation du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions.

Cette mesure, qui avait les faveurs du gouvernement, était la plus attendue, car la plus puissante du panel de propositions. Emmanuel Macron n'est pas rentré dans les détails des chiffres. Mais il a annoncé qu'une loi serait votée au 1er semestre 2018 et qu'elle pourrait prendre la forme d'ordonnances pour aller vite.

8. La contrepartie : des plans de transformation des filières.

Le Président veut associer l'élévation du SRP et l'encadrement des promotions à une transformation profonde des modèles des filières. « Ne tombons pas dans la facilité qui consisterait à mettre d'accord agriculteurs, transformateurs et distributeurs, en omettant le consommateur. Nous devons avoir un double objectif : que le juste revenu soit assuré aux producteurs et qu'une qualité supérieure soit proposée aux consommateurs. C'est pourquoi je demande d'ici la fin de l'année à ce que soient constitués des plans par filière », a-t-il annoncé.

Une manière pour le chef de l’État d'éviter que l'augmentation du SRP soit « un chèque en blanc ». Il se dit prêt à s'engager fortement à prendre ces décisions inédites, à condition qu'un effort lui aussi inédit soit mené en termes d'organisation des filières. En clair, ces plans de filière doivent être l'occasion de se fixer des objectifs de transformation des modèles vers plus de production sous signes de qualité, de bio… Un événement début 2018 sera organisé pour consacrer ces documents.

Les augmentations de SRP ne devront pas être un chèque en blanc

Au final, Emmanuel Macron a produit un discours équilibré, qui dessine des perspectives comme rarement un chef de l’État ne l'avait fait jusqu'alors. Une façon habile de manier la carotte : de meilleures conditions pour qu'un prix juste soit enfin payé, mais sous réserve d'aller vers une alimentation de meilleure qualité. L'idée du plan est de sortir du système des aides palliatives.

Sur ce point, Emmanuel Macron a clairement vilipendé une certaine forme d'immobilisme. Comme dans la filière porcs : « pouvons nous accepter que 0,5 % des porcs soient bio et 3 % en Label Rouge ? Que les poulets soient suspendus au cours du change au Moyen-Orient ? Collectivement dans toutes les filières, nous avons protégé des choix absurdes. Nous devons changer de modèles productifs et éviter d'entrer dans un énième plan de crise quand çà ira mal. Il faut arrêter les productions qui ne correspondent plus au goût et au besoin des Français et qui vont contre une concurrence internationale face à des pays contre lesquels nous ne pouvons rien. Notre modèle n'est pas de concurrencer la ferme des 100 000 vaches en Chine. Mais de valoriser les produits Label Rouge, de travailler à la découpe de volailles pour répondre aux besoins de la RHD, de restructurer le maillon abattage dans la filière bovine….En clair, le Président souhaite accélérer la restructuration des filières.

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