"L214 a véritablement professionnalisé son marketing"
Les agences Shan et Saper Vedere ont uni leurs forces pour décrypter la stratégie de communication, notamment digitale, de l’association L214, dont les campagnes vidéos chocs marquent l’opinion publique depuis plus de deux ans. Sans se positionner sur la légitimité du combat mené par l’association antispéciste, leurs experts apportent des éléments de compréhension du phénomène dans une étude. La parole à Amaury Bessard, directeur réputation & communication sensible de l’agence Shan, et co-auteur de l’étude avec Nicolas Vanderbiest, special adviser chez Saper Vedere.
Pourquoi s’intéresser à L214 ?
Des ONG avec de nouveaux moyens de communication arrivent à déstabiliser les acteurs traditionnels de l’économie, que sont les industriels de l’agroalimentaire et les agriculteurs. Cela crée une tension médiatique et psychologique. Il est donc intéressant d’identifier les ingrédients de leur stratégie de communication. En sachant que L214 est la plus visible d’entre elles, mais aussi la plus avancée en termes marketing.
Pourquoi l’association L214 rencontre-t-elle un tel écho ?
Le terrain est propice sur le plan sociétal et médiatique à un débat sur le sujet des modes de production et de consommation. C’est un mouvement sociétal qui interroge la relation des consommateurs aux animaux qu’ils mangent. L’ensemble de la population n’adopte pas une vision aussi doctrinaire et extrémiste que la théorie antispéciste défendue par L214, mais une partie y est sensible. L214 ne pourrait pas exister sans cela. C’est comme cela par exemple qu’elle parvient à négocier des exclusivités avec Le Monde, qui pense ainsi répondre à l’attente de ses lecteurs. L’association sait aussi faire preuve d’opportunisme et d’habileté et a véritablement professionnalisé son marketing.
Ce qui frappe, c’est les moyens dont dispose l’association...
Nous n’avons pas les données officielles. Nous nous sommes basés sur des déclarations à la presse. L’association compterait 38 salariés et un budget de plus de trois millions d’euros. Mais ce sujet n’était pas dans le périmètre de l’étude.
Quels enseignements tirez-vous de votre étude ?
Via sa stratégie marketing, L214 essaie de plus en plus d’élargir son audience traditionnelle. Celle-ci est centrée autour des militants vegan et de l’antispécisme, que l’on retrouve majoritairement, sur le plan politique, aux deux extrémités de l’échiquier. Cette stratégie d’élargissement s’illustre par exemple par le fait d’avoir choisi Kim Glow comme égérie de sa campagne « BalanceTaFourrure ». C’est une personnalité issue de la télé-réalité, qui n’est pas du tout dans le ciblage intellectuel des militants du socle de L214.
Cette stratégie d’élargissement de la cible fonctionne-t-elle ?
Cela ne réussit pas tant que cela sur le plan de l’engagement. L’association reste enfermée dans son socle vegan. Elle arrive à informer le grand public, sans le faire adhérer pour autant. Nous le démontrons par l’analyse des triangulations sur Twitter, qui nous permettent de voir qui s’engage. Ce sont toujours les mêmes.
Quelles préconisations faites vous aux entreprises agroalimentaires?
Il est très difficile de contre-attaquer sur le terrain émotionnel qu’occupe l’association. Avec ses vidéos chocs, l’association ne cherche pas le dialogue mais à imposer par l’émotion une vision du monde. Elle utilise des canaux « chauds » comme la vidéo ou des témoignages de célébrités pour créer un sentiment de proximité et d’appartenance. Les entreprises peuvent en revanche actionner plusieurs leviers, basés sur la sincérité et l’ouverture, en reconnaissant les erreurs éventuelles et en mettant en avant les choses bien faites. Cela doit être réalisé le plus en amont possible, afin de créer une empreinte médiatique et digitale.
Un exemple ?
C’est ce qu’a pas mal fait la société Hénaff. Suite à une vidéo mettant en cause un élevage, Loïc Hénaff a su réaffirmer ses principes et faire jouer la fierté régionale bretonne. Il est important d’assumer sa position. Mais je me permets d’alerter sur l’effet boomerang d’une stratégie marketing jouant excessivement sur l’imagerie pastorale ou reposant sur une vision bucolique de l’élevage. Cela peut vite se retourner contre l’entreprise.