Loi Alimentation : la publication de l’ordonnance ne fait pas taire les doutes
Reportée d’une semaine suite à la crise des Gilets Jaunes, la publication de l’ordonnance traduisant deux mesures essentielles de la loi Alimentation est finalement intervenue le 13 décembre (Cliquez ici pour télécharger l’ordonnance). De même que le rapport sur lequel elle s’appuie (Cliquez ici).
La première mesure est celle de la hausse de 10 % du seuil de revente à perte. Bien qu’annoncée pour le 1er février, l’entrée en vigueur de cette mesure est prévue à une date fixée par décret, au plus tard le 1er juin 2019. Rappelons qu'elle vise à empêcher les enseignes de vendre à prix coûtants les produits d’appel. Le pari du gouvernement est que cette marge imposée aux distributeurs rende moins attractives les politiques commerciales axées sur les prix. Et que la valeur ainsi générée puisse être retournée aux fournisseurs, grâce à la logique du prix inversé (le prix discuté lors des relations commerciales tenant compte du prix demandé par le producteur).
La seconde mesure va encadrer les promotions. L’ordonnance prévoit que les avantages promotionnels pour un produit déterminé ne soient pas supérieurs à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente. Une disposition qui entre en vigueur au 1er janvier 2019.
De plus, ces avantages promotionnels doivent porter sur des produits ne représentant pas plus de 25 % du chiffre d'affaires prévisionnel fixé par la convention et du volume prévisionnel prévu par un contrat. Cette disposition s’applique aux négociations commerciales actuelles, y compris rétroactivement aux conventions conclues avant la publication de l’ordonnance.
Les attaques cinglantes d'Intermarché et E.Leclerc. Très attendue, la publication de l’ordonnance ne fait pas taire les critiques, bien au contraire. Face à la crise du pouvoir d’achat que traverse le pays, les atermoiements du gouvernement - qui a envisagé de différer les mesures - a accru le scepticisme. Sans surprise, les attaques les plus cinglantes sont venues des enseignes Intermarché et Leclerc.
Sur son blog, Michel-Edouard Leclerc n’a pas manqué de saluer les déclarations de Thierry Cotillard dans la presse économique. Le président d'Intermarché s'est en effet inquiété de la conjugaison du relèvement du seuil de revente à perte, de la limitation des promotions, des hausses de taxes et de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source. "Pour tous les distributeurs, c'est un cocktail explosif", affirme-t-il. Avant de poursuivre : "quant au ruissellement jusqu’aux agriculteurs. Mais qui y croit encore ? L’État peut-il encore douter qu’à ces hausses inopportunes, il faudra opposer des baisses magistrales ? ". Un constat qui n'empêche pas l'enseigne Intermarché de communiquer sur des accords de revalorisation du prix du lait, avec Savencia et Bel.
Quant au principe du "ruissellement", déjà les distributeurs demandent aux industriels des garanties écrites que les hausses de prix vont bien aux agriculteurs. C'est le cas de Système U, qui s’affiche comme le seul distributeur soutenant réellement l'ordonnance. « Il est temps de freiner la guerre des prix, pour cesser de détruire de la valeur au détriment des producteurs », affirme Dominique Schelcher, le président de l’enseigne.
La FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution), qui rassemble Auchan, Carrefour, Géant-Casino et U, demande « à ce que les nouvelles mesures liées aux promotions soient mises en place de manière progressive, compte tenu de la date très tardive de publication de l’ordonnance, de la nécessité de respecter les contrats en cours et de la situation exceptionnelle actuelle du commerce ». Elle appelle à la publication immédiate du décret relatif à la hausse du seuil de revente à perte, afin que la mesure soit intégrée dans les négociations commerciales actuelles.
L'optimisme de l'Ania, les doutes de Coop de France. Du côté de la transformation, l’Ania se montre résolument optimiste. « Nous attendions ces ordonnances, nous allons enfin poursuivre ces négociations commerciales dans un cadre juridique clair. Il faut maintenant que les pratiques changent dans la durée, que tout le monde joue le jeu et respecte la loi », a réagi son président, Richard Girardot. Pour la coopération agricole, qui pèse 40 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire français, Coop de France fait part de ses craintes. Michel Prugue, son président, pointe les ambiguïtés de l’ordonnance susceptibles de générer des interprétations divergentes. Coop de France appelle ainsi à un nouveau texte : circulaire d’interprétation ou lignes directrices de la DGCCRF, pour mettre tout le monde d’accord et sécuriser juridiquement les négociations.
Au-delà de la simple ordonnance, l’Ania et Coop de France partagent l'observation que les tensions observées lors des négociations actuelles sont de mauvais augure. « Malheureusement Coop de France constate déjà que le ton des négociations entamées ne reflète pas les bonnes intentions exprimées depuis 18 mois », indique Michel Prugue. L’Ania ne dit pas autre chose. « Les premiers retours sur les négociations commerciales en cours sont pour l’instant inquiétants », affirme Richard Girardot, son président.