En novembre 2019, l’application Yuka, l’association Foodwatch et la Ligue contre le cancer ont lancé une pétition pour interdire les nitrites et nitrates ajoutés dans les aliments. En février 2020, les trois organisations ont rassemblé 180 000 signatures et interpellent la ministre de la Santé, en mettant en avant que 4 000 nouveaux cas de cancer de l’estomac ou du colon sont attribuables à la consommation de viande transformée par traitement à l’aide d’additifs nitrités. Certains députés (dont Richard Ramos, qui avait déposé sans succès fin 2019 un amendement pour taxer les nitrites) s’emparent de l’affaire et se lancent en mars dans une mission parlementaire qui durera plusieurs mois.
La Fict contre-attaque
Le 7 octobre, Yuka reçoit une lettre de mise en demeure de la part de la Fédération français des Industriels Charcutiers Traiteurs (Fict). Elle stipule que l’application stigmatise la quasi-totalité des produits de charcuterie avec de mauvais scores (0/100 si elles contiennent des nitrites) et qu’elle incite les utilisateurs à signer la précédente pétition. La Fict dénonce des allégations « trompeuses, parcellaires ou partiales » et une « désinformation du consommateur », causant un « préjudice considérable » aux industriels de la charcuterie.
Le 23 novembre, Yuka et Foodwatch crient à l’intimidation. « Certains industriels nitriteurs de la Fict préfèrent tenter de nous intimider et museler le débat public pour une alimentation saine, plutôt que de reconnaître leur responsabilité dans les cancers évitables liés à l’utilisation de ces additifs. Pourtant, un nombre croissant de fabricants commercialise des produits sans nitrites ajoutés, donc ils sont bien au courant du problème », souligne Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France. Le nombre de signataires de la pétition bondit, pour atteindre près de 323 000 signatures fin décembre 2020.
L'Académie d'Agriculture de France publie son avis
Entre-temps, un groupe de travail de l’Académie d’Agriculture de France a publié un rapport sur les « Impacts sur les cancers colorectaux de l’apport d’additifs nitrés (nitrates, nitrites, sel nitrité) dans les charcuteries ». Le texte mentionne avoir proposé une audition en vidéoconférence aux associations Foodwatch et Yuka, « qui n’ont pas répondu ou n’ont pas voulu répondre, en raison du confinement ».
Au final, les auteurs du rapport concluent que « les nitrites, employés comme additifs alimentaires en tant que conservateurs dans les produits de viande transformée, protègent le consommateur vis-à-vis du risque botulinique. Face à cela, les risques de cancer colorectal induits par la présence de nitrites aux doses autorisées par la réglementation ne sont pas prouvés. » Salué par les parties pro-nitrites, le texte est par ailleurs décrié par des opposants qui pointent des liens avec l’industrie chez les auteurs, et le fait qu’aucun ne soit cancérologue.
Les députés répondent avec un projet de loi
L’affaire prend un nouveau tournant politique le 14 décembre, quand un groupe de députés (Richard Ramon, Barbara Bessot Ballot, Michèle Crouzet) dépose une proposition de loi pour interdire les additifs nitrités et les extraits riches en nitrates dans les charcuteries. Ce qui fait suite à la mission parlementaire lancée en mars. Il est question d’interdire les nitrites et dérivés dans les produits de salaisons en janvier 2023 et dans toutes les autres charcuteries en janvier 2025. En attendant, ces produits porteraient une mention « contient des nitrites ou des nitrates ajoutés et qui peuvent favoriser les cancers colorectaux. »
Les députés s’appuient sur différentes auditions de professionnels et remettent en cause l’utilité de ces additifs contre le botulisme. Ils citent notamment l’évolution des conditions sanitaires et d’hygiène et l’offre grandissante de charcuteries sans nitrites, sans plus de cas de botulisme. « De manière générale, les cas de botulisme recensés en France au cours des dernières années ont été provoqués par des conserves ou des charcuteries familiales ou mal fabriquées, réalisées dans des conditions d’hygiène et de sécurité alimentaire défaillantes, qui ne sont pas comparables avec l’exigence sanitaire appliquée par les professionnels de la filière française », précise le rapport.
Une décision attendue en 2021
Cette proposition de loi sera étudiée à l’Assemblée nationale de 28 janvier 2021. D’ici à ce qu’elle soit validée et promulguée, l’Anses aura rendu un nouvel avis. Missionnée à l'été 2020, l’Agence doit se prononcer à la rentrée 2021 sur le risque sanitaire de réduire les nitrites dans les aliments et d’évaluer le lien entre cancérogenèse chez l’Homme et l’apport de fer héminique associés aux nitrates via les produits carnés. La question est donc encore loin d’être tranchée. Rendez-vous est pris en cours d’année pour savoir si les jours du jambon nitrité sont comptés…